Göteborg, capitale mondiale de l’indie à moins de mille vues

JJULIUS VOL. 1
Mammas Mysteriska Jukebox, 2021
Écouter
Bandcamp
Musique Journal -   Göteborg, capitale mondiale de l’indie à moins de mille vues
Chargement…
S’abonner
S’abonner

Depuis quelques années, il faut bien l’admettre, l’IFK Göteborg, autrefois habitué des grandes compétitions internationales, se traîne dans le ventre mou du Allsvenskan, le championnat de foot suédois, dont ils sont actuellement neuvièmes (soyons tout à fait justes, ils ont quand même décroché la coupe de Suède en 2020). À l’inverse, les effectifs pop lo-fi/DIY gothembourgeoise, eux, sont présents dans toutes les phases finales de la Champions League indie depuis quelques années déjà, et on voit mal, en 2021, qui pourrait leur souffler le titre. Avec ses groupes (Neutral, Monokultur, Enhet För Fri Musik, Typical Girls, Treasury of Puppies, etc.) et ses labels (Discreet Music, I Dischi Del Barone, Mammas Mysteriska Jukebox, etc.), la scène de Göteborg s’est lancée à l’assaut du vieux continent, et, partant, du monde entier. À moins que ce ne soit le monde entier qui, dépité devant le manque d’idées de la concurrence, se soit entiché tout seul de cette inextinguible source de fraîcheur et de mélodies ?

Dans cette troupe aux contours flous, dont on ne doute pas qu’elle porte en son sein, sous une apparente harmonie, son lot de jalousies et de luttes intestines, une tête dépasse, coiffée d’un spectaculaire mullet. Cette tête, c’est celle de JJ Ulius (ou JJULIUS), un des deux membres (aux côtés de la merveilleuse Loopsel) de Monokultur, dont nous vous avions déjà touché un petit mot en 2019 (en parlant, au sujet de leur musique, « d’une espèce d’hybride entre les Marine Girls et “Take My Breath Away” »), et qui ont cette année publié un décisif second album, Ormens Väg, mais aussi membre de Skiftande Enheter (soit Monokultur augmenté de Love Hulten à l’orgue et de Hugo Randulv, lui-même membre de Enhet För Fri Musik et Typical Girls, la scène n’échappant pas à une certaine consanguinité), responsables en mars dernier d’un 45 tours parfait – et très classic rock – sorti sur Chunklet Industries, attachant petit label d’Atlanta.

C’est d’ailleurs ce qui de prime abord pourrait donner tout son sel à ce Vol. 1, premier album solo de JJ Ulius, sorti ces jours-ci : quand un homme de clique fait ainsi un pas de côté pour se risquer au nom propre, on a nécessairement envie de prêter attention. On espère y trouver une révélation, des clés, une intimité peut-être, quelque chose qui pousserait à réévaluer l’œuvre, lesté d’un bon vieux biais rétrospectif.

Micro-reprises de quelques secondes des Smiths, et, sûrement plus surprenant, d’Autopsy, pionniers death metal de San Francisco, bribes de morceaux à venir, expérimentations bruitistes : pour les clés, on sera prié de se rabattre sur la collection Demos 17 – 19, sortie l’an dernier sur Förfall (encore un micro-label, dont les sorties se font sur CD-R uniquement).

Non, sur Vol. 1, Jjulius a mieux à faire que d’éclairer la lanterne de quelques amateurs désœuvrés dans notre genre, en manque d’exotisme nordique. Lui est là pour autre chose : graver son nom, au burin rouillé, certes, mais avec la légèreté et la précision qui le caractérisent, dans le marbre du fronton du temple des plus grands songwriters contemporains. Sur son premier album solo, il a rassemblé tout ce que ses autres projets lui ont enseigné, pour produire une quintessence, un cinquième élément.

En dix chansons, ramassées sur un segment temporel de trente minutes, Jjulius déroule tous ses tricks comme à la parade : guitare noble et un peu ahurie, reconnaissable entre mille, légère saturation occasionnelle, basse d’après le punk, chant comme éreinté, épuisé mais jamais vaincu, spoken word fantomatique, groove raide mais réel, voire réaliste, écho presque dubby, boîtes à rythmes décaties ou simplement absentes, lignes de synthé discrètes. Et accorde de l’espace, beaucoup d’espace, à chacun de ces éléments, dérivant tous ensemble sur une mer mélodique, tantôt calme, tantôt agitée. Des éléments qui à l’occasion se percutent, générant la friction, la tension nécessaire à l’épanouissement des mélodies. Ne parlant pas un mot de suédois (ou plutôt un mot : « tack », pour « merci »), il nous est peu aisé d’évoquer les paroles, mais à vrai dire, peu importe. Le mystère de l’idiome scandinave, à la fois familier et totalement hermétique, confère à l’ensemble un charme plus capiteux encore. Nous avons quand même poussé la curiosité jusqu’à passer quelques titres dans un traducteur automatique, pour vous livrer tout de go la traduction littérale de la formidable ballade éplorée « Längst bak i kön till frälsningen » : « À l’arrière de la file d’attente pour le salut ». Tout un programme.

Ce programme, chacun est invité à y piocher ses pépites préférées, pour ma part, ce serait probablement l’irresistible paire introductive « Följ inte efter » et « Speglar mig », la faussement sereine « Andra takter », et la colère froide du closer, « Jag ska visa er ». Mais très honnêtement, ici, c’est all tabassage, no remplissage. En attendant un Vol. 2 qui on l’espère ne tardera pas trop à voir le jour, on a simplement envie de dire à JJ Ulius (ou Jjulius, on ne sait plus trop) un grand, grand tack pour avoir fait saigner à nouveau nos petits cœurs d’indie kids for ever.  

Joie, groove et sororité

Les Britanniques Little Simz et Cleo Sol chantent la solidarité féminine avec beaucoup plus d’à-propos et beaucoup plus de talent que Camille Lellouche. 

Musique Journal - Joie, groove et sororité
Musique Journal - Les gens ne disent pas assez à quel point Wolfgang Voigt est un génie

Les gens ne disent pas assez à quel point Wolfgang Voigt est un génie

Il se trouve qu’il vient de sortir un nouvel album mais nous n’avons pas besoin de prétexte pour déclarer notre flamme à Wolfgang Voigt, alias Mike Ink, alias Gas, alias Studio 1, fondateur des labels Profan et Kompakt, et prodige légèrement méconnu de la musique électronique.

Bientôt dix ans sans Aaron Carl

Le producteur de Detroit refusait de coller à un genre plutôt qu’à un autre et nous a donc laissés une discographie singulière. Sur ses albums, il réussit ainsi à mélanger house commerciale, R&B lo-fi, arrangements electroclash, beats ghettotech et vocaux soul autotunés – un vrai paradis camp, qui scintille de mille imperfections. 

Musique Journal - Bientôt dix ans sans Aaron Carl
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.